Bains publics au Japon : pourquoi j'aime y aller
Au Japon, contrairement en France, il existe encore beaucoup de bains publics (sento) même si leur nombre a diminué avec l'arrivée de l'eau courante dans les logements.
Notre relation à notre propre corps et au corps de l'autre est évidemment différente selon les expériences personnes de chacun, mais elle est surtout supportée par sa propre culture et sa propre société et cela explique en partie pourquoi les Français ne vont pas dans les bains publics (si on en avait encore).

Les Français et la nudité
Les français ne se baignent pas en public. Ils ne se dévoilent même pas leur nudité au sein de membres du même sexe. Adolescente, je n'osais même pas me mettre en sous-vêtements devant mes camarades de classe féminines.
Bien sûr, nous savons tous que l'adolescence est un moment assez délicat de notre vie et le moindre regard est interpreté comme une critique ou une raillerie. Cependant, même mon frère, une fois adulte, ne se déshabillait pas dans les douches après un entraînement : lui et ses camarades se lavaient en caleçon. Quand j'ai appris ça la première fois, ma première réaction, de manière un peu hypocrite, a été l'étonnement en faisant la remarque qu'entre personnes du même sexe, il n'y avait rien d'embarrassant puisqu'après tout, l'anatomie est la même.
Sauf que non.
En France, le corps de l'autre pour les personnes de même sexe (notamment chez les femmes) est généralement soit un objet de jalousie ("il est plus musclé que moi", "elle est plus mince que moi"), soit un objet de raillerie. Nous nous comparons les uns les autres (ce qui est plus ou moins normal selon la culture dans laquelle on a été éduqué) et le corps est un autre instrument pour se sentir mieux ou au contraire se sentir déprimé(e) si cela ne correspond à l'idée du "beau" corps ou du "bel" esprit (aller savoir ce que ça veut dire exactement).

Résultat, la majorité des Français ne perçoivent pas le corps de manière objective ou détâchée et font souvent
l'extension de la personnalité sur le corps physique, comme si l'un justifiait l'autre. Je ne vais même pas parler des notions de beauté et de "corps-modèle" ou de 'femme-objet' qu'on nous fourre dans le crâne à longueur de journée à coups de publicité et de films.
La nudité en France est, au mieux, ignorée ("tu m'as vu(e) nu(e), et alors ?"), et au pire un gros complexe. Pourtant, les Français ont une vision du bain très similaire à celles des Japonais : c'est un moment pour se relaxer, se retrouver soi-même et oublier un peu les soucis du quotidien.
Se baigner en public au Japon, une autre vision de son corps
Je ne parle pas de la vision que les Japonais peuvent avoir sur leur propre corps : ils ont aussi des complexes comme vous et moi, et critiquent tout autant le corps de l'autre.
Si à l'époque où j'ai testé mes premiers sento, je n'étais plus aussi pudique, et j'acceptais mieux mon corps, ce n'est pas pour autant que j'aimais me montrer à poil devant les autres. Je me suis posée les mêmes questions que beaucoup d'autres Occidentaux/ales :
- "Est-ce qu'on va me regarder mal ?"
- "Est-ce qu'ils ne vont pas se dire ce que la gaijin (l'étrangère) fiche ici ?"
- "Qu'est-ce que je dais si on me fait des remarques ?"
Mais j'avais oublié une petite chose : les autres aussi, en face, elles sont nues.
Elles se dévoilent, elles ne peuvent rien cacher, et elles sont autant juges qu'accusées. Certaines n'auront pas cette révélation. Pour ma part, cela m'a un peu soulagée et m'a fait continuer à fréquenter les sento, et a été la première étape pour vraiment faire tomber ce voile de la honte tissée par la société qui enveloppait ma "nudité", mon corps. Si elles sont en pouvoir de m'évaluer, je le suis aussi. Et si elles me font des remarques, je peux au moins comprendre le japonais et répliquer. Alors que si je leur parle français, il y a des fortes chances qu'elles ne me comprennent pas même si je leur hurle des obscenités à la tronche. On trouve des consolations là où on peut.
Je suis donc entrée pour la première fois dans un bain public, et je me suis déshabillée, un peu de manière honteuse, comme si mon corps était quelque chose d'un peu sale, qui ne devait pas être observé. Puis, j'ai levé les yeux.

Une femme mûre m'a regardé. Une lycéenne a croisé mon regard.
Je les ai regardé aussi.
On s'est regardé, nous avons englobé d'un seule regard nos corps respectifs.
Et c'est tout.
Pas de jugement dans le regard. Nous étions seulement deux individus, deux femmes, qui partagions le même espace, la même eau. Et plutôt que d'ignorer discrètement ou de faire semblant d'ignorer que nous sommes nu(e)s, je préfère largement une reconnaissance que non, ce n'est pas grave de montrer sa nudité.
Ma vision du sento
Et concrètement, pourquoi j'aime le sento ? Pourquoi j'y retourne, encore et encore et que j'y prends toujours autant de plaisir, même quand le bain tombe un peu en ruines ou qu'il est un peu petit ? Le sento, pour moi, c'est d'abord tout simplement une partie de la vie, mais aussi des sensations.
Les Japonais se rendent en famille, entre amis, seuls, avec un amant, dans les bains publics de leur quartier. C'est aussi bien une occasion de croiser des habitants (des voisins peut-être), que de se rendre compte par soi-même de la vie quotidienne là-bas. Même dans le grouillant et moderne Tokyo, vous avez des sento et vous avez une vie de quartier dynamique ou paisible en dessous de son aspect cosmopolite et mega-urbanisé.

C'est un moment de convivialité.
On partage, on raconte les derniers potins, on y va avec ses collègues après une grosse journée. Le bain représente ce qu'on peut voir dans les rues japonaises : des gens qui vont et viennent, qui se saluent d'un hochement de tête, qui rêvassent ou se plantent en plein milieu de la rue pour regarder leurs portables, qui sont bienveillants avec toi lorsque tu as l'air perdu(e). Le sento est la représentation architecturale de la vie de proximité. Vous vous croisez dans la rue, souvent au même endroit, à peu près à la même heure, et au fil du temps, vous commencez à vous saluer, puis à échanger des petits sourires (des fois un peu gênés), et vous échangez quelques mots. C'est exactement pareil dans les sento (si on est un habitué).
C'est un moment de soi.
Assis sur un banc, on pose son livre un moment, poussé par une envie subite de lever les yeux. On regarde les passants. Le soleil et le vent caressent nos joues et balaient nos cheveux dans un petit mouvement joeur. C'est le vide, mais un bon vide. Un vide où on se sent léger et en équilibre.
C'est l'image que j'ai eu la première fois que je me suis retrouvée allongée dans l'eau chaude du sento, la tête posée sur le mur, dans un moment de silence partagé et harmonieux avec ma camarade de bain du moment.
C'est un moment de vivalité.
J'ai expérimenté les bains avec des enfants. Pas un ou deux, mais tout un groupe de petites filles dont j'avais la charge. Autant le sento avec des adultes, c'est calme et paisible, autant un groupe d'enfants, cela devient bruyant. Les rires et les petits cris ricochent et s'amplifient dans un endroit confiné aux murs couverts de carreaux. On joue un peu dans l'eau, on s'éclabousse. J'adore prendre des bains avec les enfants, ils transforment une mer calme en un dragon avec lesquels ils s'imaginent danser. Le bain paisible se dynamise, comme un quartier en pleine préparation d'un matsuri.
Ce que j'aime aussi dans les sento, c'est leur décoration, les différents styles, en découvrir de nouveaux car ils sont tous différents, de part leur agencement, de part leur histoire. Découvrir s'ils proposent des saunas, des bains d'eau froide, des bains aux herbes médicinales etc.
C'est pour toutes ces raisons que j'aime aller au sento.
Prochain article sur le sujet des sento : les tatouages interdits au bain public, une idée reçue ?