Gagaku : la musique de la haute
Le gagaku regroupe l'ensemble des plus anciennes musiques du Japon. A l'occasion des Japonismes 2018, le Philharmonie de Paris propose une performance exceptionnelle de gagaku impérial le lundi 3 septembre 2018. Mais en fait, qu'est-ce que le gagaku ? Quel genre de musiques peut-on y trouver ? Je vous explique ça dans cet article.
Le Philharmonie de Paris propose un excellent programme en cette fin d'année puisque nous allons avoir deux performances appartenant au gagaku : le gagaku impérial, en septembre et le bunraku, en octobre. Deux performances auxquelles je vais d'ailleurs y assister :)
N'ayant jamais entendu parler de ce domaine musical, je me suis donc intéressée de plus près et ma grande surprise - et ma douleur - est que le gagaku est en réalité assez complexe. Je vais donc essayer de faire au plus simple.
Le gagaku (雅楽) était originairement réservé à l'élite japonaise, et notamment à la famille impériale. Cet art musical - mêlant selon les styles, chants, danse et musique traditionnelle - était joué exclusivement lors de cérémonies traditionnelles, de banquets et de festivités de saison (en printemps et en automne). On peut dire que le "petit peuple" n'avait pas accès à cette musique "raffinée", d'où son nom (gagaku = "musique élégante").
L'histoire du gagaku
Le gagaku actuel est une transformation de plusieurs courants et influences.
L'arrivée du bouddhisme au Japon à partir du 5ème siècle (période Asuka) n'a pas introduit qu'une religion mais aussi une culture et des savoir-faire, comme l'art, la musique ou le travail du métal. Le gagaku a donc fortement été influencé par les musiques traditionnelles du continent asiatique (Chine impériale et Corée). Celui-ci a subi plusieurs mutations - suite à des réformes musicales dû à un contexte politique et économique difficile - et fusions avant d'adopter une forme finalisée vers le XXème siècle où il a été définitivement associé avec la cour impériale.
Pendant les ères Nara (710-790) et Heian (794-1185), le gagaku était essentiellement représenté à la cour impériale mais aussi dans les temples bouddhistes et shinto de grande renommée. Il est tombé un peu en désuétude avec l'arrivée du bakufu au pouvoir (gouvernement militiare à partir de la fin du XIIème siècle) puis est redevenu apprécié par l'aristocratie du shogunat Tokugawa (XVIème siècle)
Après la Restauration de l'ère Meiji et la Seconde Guerre Mondiale, et dans le projet de faire découvrir au monde la beauté de la culture traditionnelle japonaise, la cour impériale décida d'ouvrir le gagaku au public dès 1956 en organisant deux performances au printemps - réservé aux hauts dignitaires - et en automne - accessible à la presse et au média - un peu à l'image de ce qui se faisait à la cour impériale presque 1400 ans auparavant.
Ensuite à partir de 1959, le gagaku a été exporté à l'étranger via des spectacles organisés en commençant par New-York, mais aussi dans 8 pays européens.
Le gagaku est inscrit depuis 2009 au Patrimoine Culturel Immatériel mondial de l'UNESCO.
Les styles du gagaku
Le domaine du gagaku est très complexe car il s'est tellement ancré dans le patrimoine culturel musical japonais et a tellement inspiré la création de nouveaux genres musicaux qu'on peut lui attribuer plusieurs musiques traditionelles anciennes (environ une centaine, voire peut-être plus). Il faudrait faire un véritable arbre généalogique pour expliquer correctement le gagaku, ses ramifications et les liens qui unissent chaque genre. C'est d'autant plus difficile qu'en japonais, on différencie entre le kangen 管絃 (l'orchestre) et le bugaku 舞楽 (musique de gagaku accompagnée de danse) et que chaque genre est découpé selon ces deux types de performance.
Donc pour simplifier la chose :
Pendant les périodes Nara et Heian, le gagaku a été finalisé, comme dit précédemment. Sa forme finalisée est la transmission de 3 influences principales :
- Le Kuniburi no Utamai 国風歌舞
C'est l'origine du gagaku ancien "à la japonaise" qui a ses origines dans le shintoisme. C'est une performance sous forme de rituel et très codifié.
Vous retrouvez dedans plusieurs genres dont les plus connus sont : le kagura-uta (chanson des dieux), le yamato-uta (chanson du couronnement) et le kume-uta (chanson de l'armée, une des chansons inscrites dans le Koseki).
Je vous invite à vous référer sur la page Wikipédia France du gagaku pour plus d'infos à ce sujet.

- Les influences étrangères
Comme dit précédemment, historiquement, le gagaku a été fortement influencé et a fusionné avec des musiques venues de l'étranger, notamment du continent asiatique.
Vous avez ainsi le tougaku (唐楽) provenant de Chine, de l'Inde et du sud du Vietnam et le komagaku (高麗楽), originaire du nord-ouest de la Chine et de la Corée.

- L'influence de l'époque Heian
Cela complète le gagaku avec deux grands genres : le saibara (催馬楽) qui est une balade populaire (poésie) et le rouei (朗詠), une poésie classique d'origine chinoise.

Si je devais résumer : les influences japonaises (le kuniburi no utamai, le saibara et le rouei) sont des pièces musicales centrées sur le chant, alors que les autres sont centrées sur les instruments.
Actuellement, on a donc plusieurs genres dans le gagaku :
les genres cités plus haut,
le Kigaku (伎楽),
le Sahoufugaku (左方舞楽) qui est une performance de bugaku provenant du tougaku (donc danse et musique si vous avez suivi),
le Saishimai (祭祀舞),
le Uhoufugaku (右方舞楽) qui est une performance de bugaku provenant du komagaku cette-fois ci,
le Sougaku (雑楽) etc.
Les instruments
Les instruments utilisés diffèrent selon le style. Mais nous avons généralement des instruments :
- à cordes avec le sou 箏 et le biwa 琶,
- à vent comme le shou 笙, le hichiriki 篳篥, le kagurabue 神楽笛, le fue 笛 ou le wagon 和琴,
- et à percussions (taiko 太鼓, kakko 鞨鼓, le tsuzumi 三の鼓 ou shouko 鉦鼓).
Aujourd'hui, cet art fait face à plusieurs difficultés, problématiques qui ne sont malheureusement pas inconnus dans d'autres héritages culturels traditionnels japonais : d'une part, la transmission du savoir-faire (musical et l'artisanat lié aux instruments) qui se perd. Il reste à l'heure actuelle très peu d'artisans par exemple en capacité de créer et de réparer deux instruments du gagaku : le hichiriki et le ryuuteki (deux types de flûtes). D'autre part, il y a un débat sur les droits d'auteur. L'office impérial qui gère le patrimoine du gagaku voudrait ainsi garder le contrôle sur ses adaptations, tout en ayant la problématique qu'en tant qu'art ancien et surtout héritage culturel, c'est difficilement applicable.