Mon retour sur l'exposition Jakuchu au Petit Palais (15/09 au 14/10/18)
La Maison Impériale du Japon, propriétaire des oeuvres du peintre Ito Jakuchu (1716 - 1800), a de manière exceptionnelle - et pour la première fois en Europe - prêté une partie des oeuvres du grand maître, une collection intitulée Le Royaume coloré des êtres vivants (動植綵絵, Dōshoku sai-e). Cette collection de trente peintures sur rouleaux de soie siège pendant une petite durée d'un mois au Petit Palais de Paris, à l'occasion des Japonismes 2018. J'ai évidemment sauté sur l'occasion, et je vous fais part de mes impressions sur cette exposition.

Si Jakuchu est un peintre assez méconnu en France, il est considéré comme un très grand artiste et un visionnaire de son temps au Japon. Il ne se conformait pas aux styles 'classiques' de l'époque (deuxième moitié du XVIIIème siècle), mais s'est inspiré de plusieurs mouvements (on dit que le style le plus reconnaissable est celui du 狩野派 kanôha, très en vogue du XV au XIXème siècle) et techniques pour créer son propre art... et l'effet est saisissant.

Pour résumer rapidement sa vie, Ito Jakuchu est le fils aîné d'un grand marchand à Kyoto. Il s'éprit de la peinture très tôt mais à la mort de son père, il dût reprendre l'entreprise familiale pendant plusieurs années. Une fois les affaires prospères, il confia la gestion de l'entreprise à son frère et se consacra à la peinture en tant que loisirs. Etant très riche, il pouvait se permettre ce genre de luxueux plaisir, d'autant plus qu'il ne choisissait que des matériaux de très grande qualité, papier et encre importés directement de Chine. Cependant, un grand incendie ravagea le magasin et l'entrepôt, rendant Jakuchu subitement sans le sou. Il fit donc de sa passion son métier, sans avoir trop le choix. Il réussit à peindre jusqu'à sa mort, et fit des dons de ses oeuvres au temple Sekihô-ji, étant un homme très pieux et proche ami des dirigeants du temple. Pour plus d'informations, je vous invite à lire le communiqué du Petit Palais, ou la page Wikipédia anglais de Jakuchu.
Je n'avais franchement jamais entendu parler de Jakuchu avant le début des Japonismes mais je suis tombée amoureuse des couleurs des peintures, et je voulais donc voir ces peintures par moi-même. Voulant me teaser moi-même, j'y suis allée sans aucune information au préalable, en ayant vu que des extraits d'images sur Internet.
J'ai bien fait de me donner l'occasion d'être surprise.
Des images sur un ordinateur ne vous donneront jamais le niveau de détail de ces trésors, ni l'impression de mouvement des animaux, ni la cocasserie de certains tableaux.

A priori, de loin, nous voyons surtout les couleurs. Le rouge qui éclate. Le vert qui miroite. Les nuances de gris et de marrons un peu brumeux, un peu mouillés. L'or qui scintille. Le blanc un peu gris mais qui nous surprend à être éclatant comme le clien d'oeil d'une étoile.
Puis on se rapproche (pour ma part, angle à 40°C). Et on comprend enfin la réelle beauté de ces oeuvres. Tout est dans le détail. Voilà le trésor. Des lignes légèrement courbées, qui se regroupent et se rejoignent comme des petites rivières pour finalement former des plumes et des écailles de poisson. On a envie de caresser, les plumes donnent cette impression de douceur, et les écailles ont l'air d'onduler. Les veines des feuilles sont renforcées par les petites striures naturelles du rouleau en soie et donnent cette impression de vraie matière. Les pattes des oiseaux ont l'air rugueuses et dures.
La mise en scène avec les différentes saisons des rouleaux renforce ce côté vivant. L'hiver est bien présent avec la neige, mais on dirait qu'il va bientôt se terminer car on aperçoit des plantes qui poussent, cachées en dessous la neige. Le printemps fait place à des bourgeons, et des fleurs qui commencent à s'épanouir. L'été voit les animaux se pavaner et faire les idiots, la clareté est de retour. L'arrivée de l'automne se sent dans les dégâts de la nature, avec des feuilles déchirées et qui brunissent. Chaque détail est un élément d'un grand tout, et chaque détail devient donc important.
On sent l'affection que porte Jakuchu envers le monde du vivant, qu'il soit animal ou végétal, et le lien qu'il ressent avec cet univers. Il fait aussi ressortir son esprit et son humour via des positions très étranges voire drôles des coqs.

Bref, ces peintures ont été un vrai régal des yeux et de l'imagination. Le seul point négatif de cette exposition est le manque d'informations concernant les techniques de Jakuchu. Pourtant, dès que je tendais un peu l'oreille, je n'entendais que cette interrogation : "Mais comment il a fait ?"
Résultat, j'ai voulu en savoir plus. Jakuchu s'est beaucoup basé sur :
- l'impression xylographique
- la technique du 正面摺
shômenzuri qui permet de mettre en avant la brillance d'une peinture (une technique très utilisée pour l'ukiyoe) en frottant le dessin avec une dent de sanglier ou un morceau de potterie
- la technique du "frottement sur la pierre", qui consiste à poser du papier ou un autre matériel sur de la pierre et de 'frotter' un crayon ou de la craie dessus pour avoir les reliefs ou les inscriptions sur la pierre. Jakuchu s'est inspirée de cette technique et l'a transposée sur des planches en bois pour rendre les gravures de la planche blanches sur le papier (ou contraire de l'impression xylographique). La technique japonaise telle que l'a pratiquée Jakuchu est malheureusement désormais perdue.
- et accompagnée de la technique ci-dessus, la technique du 合羽摺
kappazuri pour les couleurs
Je vous invite aussi à lire l'article de Nagumo, qui adore Jakuchu et qui nous apprend un peu plus sur les autres oeuvres de l'auteur et le passé derrière elles.
Informations pratiques :
Accès : Champs-Elysées Clémenceau (lignes 1 et 13 ) ou Invalides (RER C, lignes 8 et 13)
Tarifs : 14€ (tarif adulte), 11€ (tarif réduit), gratuit pour les - 18 ans
Photos autorisées : Non (à l'intérieur de la pièce)
Horaires : Mardi au dimanche, de 10h à 18h. Nocturnes le vendredi jusqu'à 21h et le samedi et dimanche jusqu'à 20h